Toxicologie des animaux de compagnie
Les Anti-Inflammatoires Non Stéroïdiens (AINS)
Présentation
Les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont des molécules d’usage quotidien, tant en médecine humaine que vétérinaire. Ils sont utilisés pour leurs propriétés anti-inflammatoires, mais aussi antalgiques et antipyrétiques.
Les molécules les plus couramment rencontrées sont l’acide acétylsalicylique ou aspirine (Aspégic®), l’ibuprofène (Advil®, Nurofen®, Motricit®), le diclofénac, le méloxicam (Métacam®), le firocoxib (Previcox®) ou encore l’acide tolfénamique (Tolfédine®).
Espèces concernées
Les intoxications aux AINS touchent essentiellement le chien et le chat.
Circonstances de l'intoxication
Il s’agit en règle générale d’une ingestion accidentelle par l’animal ou d’une conséquence de l’automédication par le propriétaire.
Toxicité
Elle est très variable et est fonction du composé et de l’espèce concernée. A titre d’exemple, on peut donner :
  • ibuprofène :
    • 20 mg/kg/j : dose thérapeutique chez le chien
    • ≥ 100 mg/kg/j : toxicité digestive chez le chien
    • ≥ 250 mg/kg/j : toxicité rénale chez le chien
    • ≥ 300 mg/kg/j : pronostic réservé chez le chien
  • aspirine :
    • 20 mg/kg/j : dose thérapeutique chez le chat
    • 100 mg/kg/j : dose toxique chez le chat, et thérapeutique chez le chien
Mécanisme de toxicité
Les troubles toxiques sont liés à l’action des AINS sur les cyclo-oxygénases (COX). Les produits les plus anciens agissent sur les deux isoformes connues, de façon non sélective ; tandis que les molécules développées plus récemment, dites anti-COX2, n’agissent que sur la forme induite pendant une réaction inflammatoire (COX2). Elles sont de ce fait beaucoup moins toxiques pour le système digestif, en l’absence d’ulcères pré-existants.
Pharmacocinétique
L’absorption est très rapide et très efficace par voie orale. La distribution est permise grâce à une bonne fixation sur les protéines plasmatiques (jusqu’à 96% pour l’ibuprofène). Les AINS sont métabolisés dans le foie et leur élimination, majoritairement urinaire, plus rarement biliaire, est lente chez les carnivores, du fait du caractère acide de leur urine, les AINS étant également des composés acides. Un cycle de dégradation entéro-hépatique est nécessaire pour certains composés.
Symptomatologie
Les symptômes apparaissent en quelques heures à une journée après l’ingestion. On retrouve, par ordre de fréquence, des signes digestifs, rénaux, sanguins et enfin neurologiques.
Signes digestifs :
  • ulcères gastriques ou gastro-duodénaux : ils sont causés par la vasoconstriction et la baisse de sécrétion de mucus gastrique. Ils peuvent apparaître dans les heures suivant une ingestion massive ou lors d’ingestion répétée, c’est pourquoi il est préférable de suspendre le traitement deux à quatre jours après quelques jours en cas de traitement au long cours. Il y a moins de troubles digestifs avec les nouveaux AINS comme le méloxicam ou les anti-COX2 (firocoxib, rofécoxib, ou encore célécoxib en médecine humaine) sauf si les ulcères sont antérieurs à la prise.
  • douleurs abdominales
  • vomissements sans anorexie systématique
  • des diarrhées hémorragiques sont possibles
Signes rénaux :
  • insuffisance rénale aiguë : elle apparaît en quelques heures à quelques jours après l’ingestion. Elle est due à la vasoconstriction de l’artère rénale, entraînant un défaut d’irrigation du rein. Cette insuffisance rénale est aggravée par les pertes en eau et en électrolytes consécutives aux vomissements.
  • nécrose papillaire aiguë : spécifique aux AINS, elle apparaît en 24 à 48 heures et est majorée si l’animal est en hypovolémie ou déshydraté ; il faut donc proposer de mettre en place une fluidothérapie le jour-même en cas d’ingestion massive.
Signes hématologiques :
  • anémie en cas d’ulcères et de diarrhées hémorragiques
  • diminution de l’agrégation plaquettaire : elle est rare chez l’animal, mais parfois constatée chez le cheval lors d’administrations répétées.
  • aplasie médullaire réversible lors d’ingestion à très fortes doses
Signes neurologiques :
Ce sont presque les seuls symptômes rencontrés avec l’acide méfénamique (Ponstyl®).
  • tremblements
  • convulsions
  • coma
  • hyperthermie avec l’aspirine
Lésions
  • ulcères gastro-duodénaux
  • néphrite (nécrose papillaire)
Diagnostic
Il est aisé si l’ingestion est rapportée par le propriétaire. Sinon, il faut penser à une intoxication aux AINS en cas d’insuffisance rénale et/ou d’ulcères gastrique ou duodénaux.
Il faudra également différencier l’intoxication aux AINS d’une intoxication à l’éthylène-glycol ou à la vitamine D.
Le diagnostic peut enfin se faire par dosage plasmatique (plus rarement urinaire). Par exemple, la concentration thérapeutique pour l’ibuprofène est de 20-30 mg/L.
Pronostic
Il est réservé sur 4 à 5 jours.
Traitement
Traitement éliminatoire :
  • l’utilisation de vomitifs est possible dans les 3 heures suivant l’ingestion,
  • sinon il faut privilégier l’utilisation de charbon végétal activé associé à du sorbitol, jusqu’à 24 heures post-ingestion pour les profènes qui ont une élimination biliaire.
Traitement symptomatique :
  • fluidothérapie pour corriger ou augmenter la volémie, de manière à protéger le rein et lutter contre l’hypotension
  • noter que le furosémide est à éviter puisqu’il potentialise les troubles rénaux. Dans le cas des profènes à élimination biliaire, il n’a aucune utilité. Par contre, la dopamine (2,5 µg/kg/min IV) et/ou la dobutamine (2,5 µg/kg/min IV) peuvent augmenter la perfusion rénale et ainsi réduire le degré d’insuffisance rénale.

Pour les molécules suivantes, il s’agit d’un traitement préventif ou curatif des troubles digestifs pour une période de 10 à 15 jours.
  • antiacides (au choix) :
    • cimétidine (Tagamet®) 5-10 mg/kg en IV, IM ou PO toutes les 6 à 8 heures ; à donner par voie parentérale en cas d’administration d’absorbants, ou à deux heures de distance si elle est associée au métoclopramide ou au sucralfate. Si la voie IV est choisie, l’injection doit être très lente (au moins 30 minutes) pour éviter tout risque d’hypotension ou d’arythmie.
    • ranitidine (Azantac®, Raniplex®) 0,5-4 mg/kg en IV, SC ou PO toutes les 12 heures ; à donner par voie parentérale en cas d’administration d’absorbants, ou à deux heures de distance si elle est associée au métoclopramide ou au sucralfate.
    • famotidine (Pepcidac®, Pepdine®) 500 µg/kg PO toutes les 12 heures ; à deux heures de distance en cas d’utilisation de charbon, métoclopramide ou sucralfate.
  • inhibiteur de la pompe à protons : oméprazole (Mopral®), à utiliser lors d’échec des antiacides.
  • pansements digestifs :
    • sucralfate (Ulcar®, Kéal Gé®) : l’idéal est de le donner sur un estomac vide au moins une heure avant le repas :
      • pour un chat : 250 mg PO toutes les 6 à 8 heures
      • pour un chien de moins de 20 kg : 500 mg PO toutes les 6 à 8 heures
      • pour un chien de plus de 20 kg : 1 g PO toutes les 6 à 8 heures
    • phosphate d’aluminium (Phosphaluvet®)
  • misoprostol (Cytotec®, Artotec®) 1 à 5 µg/kg PO toutes les 6 à 8 heures jusqu’à 24 heures après ingestion et pour de fortes doses. Il s’agit d’un traitement des ulcères gastriques et gastroduodénaux. Le misoprostol peut causer vomissements, diarrhée, douleurs abdominales et avortement. Il ne faut donc pas l’administrer à une femelle gestante.
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