Toxicologie des animaux de compagnie
Le cholécalciférol
Présentation
Le cholécalciférol ou vitamine D3 est un rodenticide encore utilisé comme souricide et raticide dans des spécialités comme Rampage®, CX40® et CX43® ou encore RacuminD® dans des pays comme l’Italie, la Suisse ou l’Allemagne. Il est parfois associé à un anticoagulant comme le coumafène.
Mais le cholécalciférol est également présent dans certains médicaments humains : dans des complexes vitaminiques contenant de la vitamine D, il est dans ce cas souvent très fortement dosé car les besoins de l’homme sont élevés. Les enfants sont supplémentés en vitamine D pendant leur croissance.
Le traitement du psoriasis, en pommade ou en lotion, peut se faire avec des précurseurs de la vitamine D comme le calcipotriol (Daivonex®) ou le tacalcitol (Apsor®).
Espèces concernées
L’espèce la plus souvent intoxiquée par la vitamine D est le chien, plus rarement le chat. Une intoxication chronique, bien que rarissime, est possible chez les animaux de rente.
Circonstances de l'intoxication
Il peut s’agir de l’ingestion de raticide, que ce soit de manière accidentelle ou suite à un acte de malveillance.
L’intoxication peut résulter de l’utilisation hors AMM de médicaments pour bovins. Les grandes espèces sont moins sensibles que les petites espèces.
Il peut également s’agir de l’ingestion de médicaments humains, par exemple un complément vitaminique à base de vitamine D2 ou D3 : les besoins quotidiens de l’homme étant beaucoup plus élevés, les comprimés sont très concentrés et les propriétaires de chiots ont parfois tendance à donner de la vitamine D en supplémentation comme ils le font pour leurs enfants. L’ingestion de tubes de pommades contre le psoriasis, malgré leur faible contenance, représente tout de même un risque important.
Par contre, il y a peu de risque si un chien mange une boîte entière de complément vitaminé pour chien, puisque la dose totale reste faible.
Toxicité
Les besoins quotidiens chez les carnivores en vitamine D sont de 10 à 20 UI/Kg/j.
1 mg de vitamine D3 correspond à 40000 UI.
Les doses toxiques sont variables selon l’espèce :
DL50 orales :
  • chez le rat : 43 mg/kg
  • chez la souris : 42 mg/kg
  • chez le chien : 88 mg/kg (proposition du fabricant du raticide)
Doses toxiques estimées :
  • chez le chien : 0,62-35,9 mg/kg (on retiendra une valeur de 1mg/kg), ce qui correspond à un sachet de 30 g d’appât à 0,075% pour un chien de 10 kg.
  • chez le chat : 4,1-5,3 mg/kg
Le cholécalciférol perturbe le métabolisme du calcium avec une augmentation de la calcémie et de la phosphatémie, principalement par résorption du calcium et du phosphore osseux et augmentation de l’absorption intestinale.
Dans l’intoxication au cholécalciférol, lors d’augmentation de la calcémie et de la phosphatémie, il y a précipitation sous forme de cristaux phospho-calciques dans les organes très irrigués, comme le tube digestif, le foie, les reins, le cœur, ou les poumons, avec une minéralisation des tissus mous, occasionnant localement des petites hémorragies et une réaction inflammatoire.
Métabolisme
L’absorption intestinale est bonne, puis le cholécalciférol se fixe aux protéines plasmatiques.
Le stockage hépatique est rapide, ce qui fait que 12 à 24 heures après ingestion, le cholécalciférol n’est plus accessible ; ce stockage est important pendant 3 semaines environ, le traitement sera alors également long.
Malgré le rétrocontrôle négatif sur les hydroxylations du 1,25-dihydroxycholécalciférol, l’activité de base de la vitamine D activée suffit, lors d’intoxication, à provoquer des minéralisations hépatiques.
Symptomatologie
Les premiers signes apparaissent dans les 12 à 36 heures suivant l’ingestion.
Le tableau clinique observé est essentiellement dû à l’hypercalcémie associée à l’hypophosphatémie, entraînant une modification de l’excitabilité neuro-musculaire « en hypo » (faiblesse généralisée) ou « en hyper » (trémulations musculaires, plus rarement convulsions) :
Dépression du système nerveux central :
  • abattement, prostration ; parfois coma
  • diarrhée
  • faiblesse musculaire généralisée
Signes digestifs :
  • anorexie
  • vomissements parfois hémorragiques, ulcères
  • constipation ou diarrhée parfois hémorragique
Signes rénaux (dus aux dépôts phospho-calciques) :
  • polyuro-polydipsie, anurie parfois
  • insuffisance rénale avec augmentation de l’urémie et de la créatininémie
  • glucosurie sans hyperglycémie, protéinurie, hématurie
Signes cardiaques :
  • arythmie (augmentation de l’intervalle P-R, diminution de l’intervalle Q-T)
  • fibrillation lors d’hypercalcémie sévère ou de minéralisation cardiaque
Signes pulmonaires :
  • toux hémorragique lors de dépôt dans les alvéoles, il y a alors des zones de calcinose pulmonaire
Signes articulaires :
  • boiterie due aux calcifications
Signes dermatologiques :
  • précipitation phospho-calcique et ulcération autour des dépôts calciques
  • foyers de nécrose
Ces trois derniers signes (pulmonaires, articulaires et cutanés) sont peu spécifiques et la cause est généralement difficile à identifier.

Les modifications des paramètres biochimiques sanguins ne surviennent souvent qu’en fin d’intoxication :
Hypercalcémie :
  • elle apparaît 12 à 24 heures post-ingestion
  • les valeurs de calcémies normales sont :
    • chez le chien de moins de 6 mois : 99-130 mg/L
    • chez le chien de plus d’un an : 96-116 mg/L
    • chez le chat : 60 à 100mg/L
  • on parle d’hypercalcémie lorsque ces valeurs dépassent :
    • chez le chien adulte : 120 mg/L
    • chez le chat : 100 mg/L
    • entre 120 et 140 mg/L, les signes cliniques sont plus ou moins sévères
    • à partir de 150 mg/L, l’atteinte est systémique
    • au-delà de 180 mg/L, l’atteinte est considérée comme grave
Hyperphosphatémie :
  • les valeurs de phosphatémie normales sont :
    • chez le chien de moins de 6 mois : 40-90 mg/L
    • chez le chien de plus d’un an : 40-80 mg/L
Urémie et créatininémie :
  • elles augmentent en 24 à 72 heures
Il est à noter que les valeurs de calcémie et de phosphatémie ne sont pas fiables si l’animal est déjà insuffisant rénal, lors d’hyperparathyroïdie, de tumeur mammaire ou si l’animal est jeune.
Chez le jeune en croissance, une augmentation de calcémie et de la phosphatémie associée à une augmentation des phosphatases alcalines, sans modification des valeurs d’urémie et de créatininémie, est à mettre en relation avec la croissance osseuse, sans atteinte rénale.
Lésions
  • hypercalcification des tissus mous : oreillette, poumon, rein, artère
  • déminéralisation osseuse visible sur les radiographies, dépôts phospo-calciques visibles à l’écographie
  • hémorragies diffuses au niveau du tube digestif et des poumons
  • minéralisation des capillaires glomérulaires et de la membrane basale tubulaire
  • nécrose tubulaire et glomérulaire avec fibrose interstitielle
Diagnostic
Au-delà du tableau clinique, le diagnostic peut se faire par la recherche de vitamine D sur un prélèvement de foie post-mortem ou par biopsie.
Une analyse histologique des tissus lésés peut révéler la présence de dépôts phospho-calciques.
Enfin le dosage de la phosphatémie et de la calcémie et la réalisation du rapport Ca/P seront la première étape du diagnostic pour le vétérinaire praticien.
Pronostic
Il est très réservé sur 2 à 4 semaines, avec une possibilité de séquelles pulmonaires et rénales.
Traitement
Traitement éliminatoire :
  • les vomitifs sont très utiles s’ils sont administrés dans les 2 heures suivant l’ingestion
  • administrer du charbon végétal activé puis de la paraffine 2 heures après
Traitement symptomatique :
  • fluidothérapie (NaCl 0,9% isotonique en priorité) : efficace si la calcémie est inférieure à 150 mg/L. Elle corrige la déshydratation et limite l’hémoconcentration qui augmente la calcémie par expansion volumique. Elle augmente également la filtration glomérulaire et la fuite calcique (compétition entre le sodium et le calcium chez l’animal intoxiqué).
  • furosémide (Dimazon®, Furozenol®) 2-5 mg/kg toutes les 8 à 12 heures ; cela peut accroître les dépôts rénaux, mais on augmente ainsi la perte de calcium.
  • corticoïdes : prednisone ou méthylprednisolone (Solumedrol® à action rapide, pas de forme retard) 1-2 mg/kg toutes les 12 heures. Ils augmentent l’élimination calcique tout en limitant la résorption osseuse et l’absorption intestinale.
  • bicarbonates : 1-4 mEq/kg (à adapter selon l’ionogramme). Ils corrigent l’acidose et diminuent la concentration en calcium ionisé et en calcium total.
  • antibiothérapie de couverture, pansements digestifs… en cas de besoin
  • diminuer l’apport calcique alimentaire en utilisant des aliments diététiques spéciaux et surtout, pour les chiots en croissance, donner un aliment pour chien adulte moins riche en calcium.
  • lorsque la calcémie est revenue à la normale : poursuivre le furosémide (2-4 mg/kg BID les 12 heures pendant 4 semaines) et les corticoïdes (2 mg/kg BID pendant 4 semaines).
Intérêt limité :
  • inutile de laisser l’animal à l’obscurité pour diminuer la synthèse de vitamine D3 qui est très faible
  • inutile d’administrer per os de l’hydroxyde d’aluminium pour chélater le calcium présent dans l’alimentation mais l’utiliser lors de troubles digestifs
Traitement spécifique :
  • La calcitonine permet de diminuer l’activité des ostéoclastes, et donc d’éviter la décalcification osseuse. Elle est chère et son efficacité est imprévisible du fait de la présence massive du cholécalciférol. Elle est d’autant plus efficace que l’animal est jeune, car il est plus sensible, et que la calcémie est élevée au moment de l’administration. Sa demi-vie est courte, il ne faut l’utiliser que si le reste du traitement a échoué.
  • posologie : 4-6 UI/kg SC toutes les 8 à 12 heures
  • utiliser de préférence la calcitonine de saumon à celle de porc
  • elle diminue la calcémie avec un maximum d’efficacité à 90 minutes après injection et un retour à la normale en 3 heures.
  • des effets indésirables sont décrits chez l’homme (nausées, rougeur de la face, douleurs abdominales, abattement), mais ils sont peu graves en comparaison des conséquences de l’intoxication au cholécalciférol.
  • Il a été montré que l’administration par voie intraveineuse de pamidronate (Ostépam®), à la dose de 2 mg/kg dans une solution de NaCl à 0,9% un jour puis quatre jours après l’exposition au cholécalciférol permettait de corriger l’hypercalcémie.
Contre-indications :
  • ne pas utiliser d’anti-inflammatoires non-stéroïdiens qui présentent une toxicité rénale.
Analyses
La recherche de vitamine D3 peut être faite sur un prélèvement de foie (post-mortem ou biopsie).
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