Toxicologie des animaux de compagnie
L'ibuprofène
Présentation
L’ibuprofène est une molécule utilisée comme anti-inflammatoire non stéroïdien à dose forte ou antalgique et antipyrétique à dose plus faible.
En médecine vétérinaire, et uniquement en France, on trouve le Motricit® à utiliser à la dose de 20 mg/kg per os chez le chien et le chat, à répartir en deux prises quotidiennes pendant 3 à 5 jours maximum, du fait de la toxicité gastro-intestinale importante.
En médecine humaine par contre, l’ibuprofène fait l’objet d’une utilisation très importante comme antalgique et antipyrétique. On trouve plus de vingt spécialités (Advil®, Nurofen®, Nureflex®, Ibuprofène®, Upfen®, entre autres) présentées sous formes de comprimés de 200 ou 400 mg.
L’ibuprofène peut également être utilisé en association avec la pseudoéphédrine dans le traitement des rhinites (Rhinadvil®, Rhinureflex®).
Espèces concernées
Le chat, les Nouveaux Animaux de Compagnie, et plus encore le chien, sont susceptibles de s’intoxiquer à l’ibuprofène.
Aucun cas d’intoxication à l’ibuprofène n’a été rapporté chez les Chéloniens (tortues), mais il est recommandé d’appliquer les mêmes mesures qu’aux Mammifères en cas de doute.
Circonstances de l'intoxication
Il s’agit dans la plupart des cas d’ingestion accidentelle de comprimés à usage humain ou d’automédication par le propriétaire.
Toxicité
Différents organes sont touchés en fonction de la dose ingérée, les valeurs suivantes sont données chez le chien :
  • à partir de 100 mg/kg : toxicité digestive, bien que des effets gastro-intestinaux puissent être remarqués à des posologies inférieures
  • à partir de 250 mg/kg : toxicité rénale
  • au-delà de 300 mg/kg : pronostic vital réservé
Notons que le Berger Allemand est une race à risque concernant l’intoxication par l’ibuprofène.
Mécanisme de toxicité
La toxicité digestive est due à l’inhibition des prostaglandines par le toxique, impliquant une augmentation de la production d’acide gastrique, une diminution de la production de mucus protecteur, une diminution de la sécrétion de bicarbonates par l’épithélium gastrique et enfin une ischémie de la muqueuse. Le caractère acide du médicament est également un facteur aggravant, bien qu’ayant une faible incidence.
La toxicité rénale, quant à elle, est due d’une part à la diminution de la perfusion rénale d’où un dysfonctionnement du rein et une perturbation des mécanismes d’homéostasie, et d’autre par à la vasoconstriction des artérioles rénales avec une possibilité de nécrose papillaire. Ce risque est majoré si l’animal souffre de déshydratation ou d’hypovolémie.
Pharmacocinétique
Chez l’homme, l’élimination se fait par les urines et dans les selles à la suite d’un cycle entéro-hépatique.
Chez le chien, l’absorption digestive est totale et plus rapide que chez l’homme. Le pic plasmatique est atteint entre une demi-heure et trois heures après ingestion. La fixation aux protéines plasmatiques est importante (de l’ordre de 96%), la demi-vie est de 2 à 6 heures. Le médicament est métabolisé dans le foie qui produit des métabolites inactifs éliminés dans l’urine et la bile.
Symptomatologie
Les premiers signes apparaissent en règle générale dans les 2 heures suivant l’ingestion :
Signes apparaissant au cours des 12 premières heures :
  • signes digestifs : vomissements souvent persistants, hématémèse, diarrhée, méléna, douleurs abdominales, anorexie
  • muqueuses pâles ou congestionnées
  • signes neurologiques : prostration, ataxie, incoordination motrice, dépression, faiblesse
  • signes plus rares observés lors de l’ingestion de très fortes doses : dyspnée, hyperventilation, tachycardie, agitation, hyperactivité, hyperesthésie, trémulations musculaires, convulsions, coma
Signes apparaissant au-delà des 12 premières heures :
  • lésions gastro-intestinales : vomissements, érosions et ulcères gastriques, voire perforation même à des doses faible (8 mg/kg) du fait d’une sensibilité individuelle
  • atteinte rénale : oligurie, augmentation de l’urémie et de la créatininémie, parfois hyperkaliémie et acidose. Cette atteinte rénale est prévisible si la dose ingérée est supérieure à 250 mg/kg et elle peut apparaître dans un délai de 5 jours après ingestion
  • autres signes : anémie, hyperthermie, polyuro-polydipsie, déshydratation et collapsus
Lésions
  • congestion gastro-intestinale avec hémorragies dans le tube digestif
  • ulcères gastriques parfois perforants
  • nécrose tubulaire rénale
Traitement
Il est à mettre en place si l’animal a pris une dose supérieure à 20 mg/kg, voire à des doses inférieures si l’animal est déshydraté ou est en statut d’insuffisance rénale avant l’ingestion de l’ibuprofène.
Traitement éliminatoire :
  • l’utilisation de vomitifs (ou la réalisation d’un lavage gastrique) est possible dans les 3 heures suivant l’ingestion,
  • sinon il faut privilégier l’utilisation de charbon végétal activé associé à du sorbitol, jusqu’à 24 heures post-ingestion
  • si les vomissements sont persistants et importants, administrer des anti-vomitifs comme le métoclopramide (Primpérid®) : 0,5-1 mg/kg SC, IM ou PO toutes les 6 à 8 heures ou 1-2 mg/kg/jour en perfusion lente
Traitement préventif ou curatif des troubles digestifs :
  • pour une période de 10 à 15 jours
  • anti-acides (au choix) :
    • cimétidine (Tagamet®) 5 à 10 mg/kg en IV, IM ou PO toutes les 6 à 8 heures ; à donner par voie parentérale en cas d’administration d’absorbants, ou à deux heures de distance si elle est associée au métoclopramide ou au sucralfate. Si la voie IV est choisie, l’injection doit être très lente (au moins 30 minutes) pour éviter tout risque d’hypotension ou d’arythmie.
    • ranitidine (Azantac®, Raniplex®) 0,5 à 4 mg/kg en IV, SC ou PO toutes les 12 heures ; à donner par voie parentérale en cas d’administration d’absorbants, ou à deux heures de distance si elle est associée au métoclopramide ou au sucralfate.
    • famotidine (Pepcidac®, Pepdine®) 500 µg/kg PO toutes les 12 heures ; à deux heures de distance en cas d’utilisation de charbon, métoclopramide ou sucralfate.
  • misoprostol (Cytotec®, Artrotec®) 1 à 5 µg/kg PO toutes les 6 à 8 heures jusqu’à 24 heures après ingestion et pour des doses supérieures à 20 mg/kg. Il s’agit d’un traitement des ulcères gastriques et gastro-duodénaux à administrer 2 heures après les éventuels adsorbants. Si l’ulcération est suspectée ou confirmée, ne pas administrer mais utiliser du sucralfate. Le misoprostol peut causer vomissements, diarrhée, douleurs abdominales et avortement. Il ne faut donc pas l’administrer à une femelle gestante.
  • inhibiteur de la pompe à protons : oméprazole (Mopral®) 0,5-1,5 mg/kg/j PO, à utiliser lors d’échec des anti-acides.
  • pansements digestifs si la dose ingérée est supérieure à 20 mg/kg et si l’ulcération est suspectée ou confirmée :
    • sucralfate (Ulcar®, Kéal Gé®) : l’idéal est de le donner sur un estomac vide au moins une heure avant le repas :
      • pour un chat : 250 mg PO toutes les 6 à 8 heures
      • pour un chien de moins de 20 kg : 500 mg PO toutes les 6 à 8 heures
      • pour un chien de plus de 20 kg : 1 g PO toutes les 6 à 8 heures
    • phosphate d’aluminium (Phosphaluvet®)
  • inhibiteur de la pompe à protons : oméprazole (Mopral®), à utiliser lors d’échec des anti-acides
Traitement symptomatique :
  • fluidothérapie si l’animal est déshydraté ou en hypovolémie. La perfusion précoce en cas d’ingestion massive peut peut-être éviter la nécrose papillaire aiguë spécifique des anti-inflammatoires non-stéroïdiens
  • la diurèse forcée est peu utile du fait de la forte liaison de l’ibuprofène aux protéines plasmatiques
  • dopamine pour augmenter la perfusion rénale et minimiser l’insuffisance rénale : 1-3 µg/kg/min IV. Ne pas associer la dopamine et les bicarbonates dans la même perfusion, sinon il y a précipitation.
  • diazépam (Valium®) en cas de convulsions : 0,5 mg/kg IV ou IR
  • bicarbonates en cas d’acidose
  • surveiller les gaz du sang et l’ionogramme
  • radiographie ou endoscopie, préférable, pour évaluer les lésions du tube digestif dans les jours qui suivent l’ingestion
Analyses
Le dosage de l’ibuprofène peut être pratiqué sur des échantillons de sérum, d’urine ou encore de foie par chromatographie en phase gazeuse et spectrophotométrie de masse.
Chez l’homme, la concentration plasmatique en ibuprofène est d’environ de 20-30 mg/L en cas d’administration à dose thérapeutique ; cette valeur peut passer à 150 mg/L au moment du pic plasmatique, au-delà, une intoxication est à suspecter.
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