Toxicologie des animaux de compagnie
L'aspirine
Présentation
L’aspirine, ou acide acétylsalicylique, est un anti-inflammatoire non-stéroïdien et un antipyrétique de la famille des salicylés d’utilisation très courante.
Il s’agit d’un inhibiteur des cyclo-oxygénases qui, à hautes doses, est responsable de la stimulation du centre respiratoire, entraînant une alcalose respiratoire, du découplage des phosphorylations oxydatives, d’une hyperglycémie et d’une glycosurie.
Espèces concernées
Le chat et le chien sont les plus exposés aux intoxications à l’aspirine.
Circonstances de l'intoxication
Il s’agit la plupart du temps d’une ingestion accidentelle ou du résultat d’une automédication par le propriétaire.
Toxicité
Posologies normales :
  • Chez le chien :
    • analgésie : 10-25 mg/kg PO BID
    • antipyrétique : 10 mg/kg PO BID
    • diminution de l’agrégation plaquettaire : 0,5 mg/kg PO BID ou 5-10 mg/kg/j
  • Chez le chat :
    • analgésie et anti-inflammatoire : 10 mg/kg/j PO (parfois 20 mg/kg)
    • diminution de l’agrégation plaquettaire : 80 mg PO toutes les 4 à 8 heures
  • Pour le bétail :
    • analgésie et antipyrétique : 50-100 mg/kg PO BID
  • Chez le cheval :
    • analgésie : 25 mg/kg PO puis 10 mg/kg PO SID
Toxicité :
  • Chez le chien : > 50 mg/kg/j
  • Chez le chat : > 25 mg/kg/j. L’administration répétée et l’élimination lente sont responsables d’un surdosage fréquent dans cette espèce.
Pharmacocinétique
L’absorption est rapide par le tube digestif, au niveau du duodénum.
Il y a métabolisation hépatique avec glucuronoconjugaison, origine de la toxicité chez le chat : dans cette espèce, il y a un déficit enzymatique, donc une métabolisation faible d’où une demi-vie longue. L’aspirine est hydrolysée en acide salicylique.
Les métabolites sont rapidement éliminés par voie rénale : par filtration glomérulaire et excrétion tubulaire. Cette excrétion tubulaire est augmentée si le pH urinaire est compris entre 5 et 8.
Pour une posologie identique de 25 mg/kg/j, la demi-vie est de 7 à 8 heures pour le chien, et de 38 à 45 heures chez le chat.
Notons qu’il y a un passage possible dans le lait et par le placenta. L’aspirine est donc contre-indiquée pendant la gestation du fait de son effet tératogène. Elle est également contre-indiquée en fin de gestation car elle provoque un retard à la mise bas par action sur les prostaglandines.
Symptomatologie
Les premiers signes apparaissent en 4 à 6 heures lors d’intoxication aiguë.
Signes digestifs :
  • anorexie
  • nausées
  • vomissements, hémorragiques en cas d’ulcères gastro-duodénaux
Signes neurologiques :
  • prostration
  • dépression du système nerveux central avec faiblesse musculaire et ataxie
  • léthargie
  • coma et mort en 1 à plusieurs jours
Signes respiratoires :
  • tachypnée avec alcalose respiratoire secondaire
  • œdème pulmonaire rare
Autres signes :
  • hyperthermie par découplage des phosphorylations oxydatives (parfois hypothermie en fin d’évolution)
  • anémie à corps de Heinz chez le chat
  • hypoprotéinémie
  • hépatite toxique chez le chat
  • œdème cérébral possible
Lors d’administrations répétées, des ulcères gastro-duodénaux perforants peuvent être rapportés. La forme galénique sans enrobage gastro-résistant provoque des irritations gastriques avec nausée et vomissements.
Signes paracliniques :
  • hyperglycémie ou hypoglycémie
  • alcalose respiratoire et acidose métabolique, évoluant vers une acidose généralisée
  • hypokaliémie
  • hypernatrémie
  • augmentation du temps de saignement
  • anémie avec formation de corps de Heinz chez le chat
  • augmentation des enzymes hépatiques (ALK-P, AST, ALT, GGT)
Traitement
Il n’existe pas d’antidote.
Traitement éliminatoire :
  • dans les 2 heures suivant l’ingestion : faire vomir puis donner du charbon actif toutes les 3 à 4 heures. Pour la forme gastro-résistante, on peut faire vomir jusqu’à 12 heures post-ingestion.
  • fluidothérapie : dextrose 5% lors de déshydratation ou bicarbonate de sodium pour lutter contre l’acidose et favoriser l’élimination urinaire. Contrôler le pH sanguin et le pH urinaire pendant l’alcalinisation. Si la mesure des gaz sanguins n’est pas possible, administrer 1 à 2 mEq/kg en IV très lente.
  • bicarbonates de sodium pour favoriser l’élimination par alcalinisation des urines
  • corriger l’hypokaliémie car elle inhibe l’alcalinisation des urines
Traitement protecteur du tube digestif :
  • sucralfate (Ulcar®) : 250-1000 mg PO toutes les 6 à 8 heures chez le chien ; 250 mg PO toutes les 6 à 12 heures chez le chat
  • misoprostol (Cytotec®) : 1-5 µg/kg toutes les 8 à 12 heures chez le chien seulement en prophylaxie des ulcères
  • oméprazole (Mopral®) : 0,7 mg/kg/j PO chez le chien uniquement
Traitement symptomatique :
  • vitamine K1 : 2,5 mg/kg toutes les 8 à 12 heures en cas d’hypothrombinémie
Eléments à surveiller :
  • surveiller la glycémie et la réguler
  • surveiller l’apparition de convulsions, d’hyperthermie ou d’œdème aigu du poumon
Contre-indications :
  • acidifiants urinaires qui diminuent l’excrétion urinaire de l’aspirine (méthionine, chlorure d’ammonium, acide ascorbique)
  • furosémide qui peut retarder l’excrétion urinaire de l’aspirine
  • corticostéroïdes et phénylbutazone ou autres AINS majorent le risque d’ulcération du tube digestif
  • héparine ou autre traitement anticoagulant car il y a alors augmentation du risque de saignement
  • digoxine chez le chien : l’aspirine augmente la digoxinémie.
Bibliographie
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