Toxicologie des animaux de compagnie
L'éthylène-glycol
Présentation
L’intoxication à l’éthylène-glycol a un caractère saisonnier et est liée à des pratiques professionnelles (garagiste) ou domestiques.
C’est un antigel présent dans les radiateurs des bâtiments et des voitures, dans le lave-glace des voitures, dans les circuits de refroidissement. Parfois, les roues des tracteurs sont gonflées à l’eau et à l’éthylène-glycol, mais cela reste rare : on utilise généralement de l’eau et des nitrites.
Espèces concernées
L’intoxication à l’éthylène-glycol se rencontre surtout chez les chiens, rarement chez les chats et de manière exceptionnelle chez les bovins (roues de tracteur). Elle est toutefois possible chez les Nouveaux Animaux de Compagnie.
Circonstances de l'intoxication
Il s’agit essentiellement d’une ingestion accidentelle du liquide, sucré et donc très appétent.
Toxicité
L’éthylène-glycol agit après oxydation en divers métabolites, dont l’acide oxalique, à l’origine d’une acidose, et qui précipite dans les tubules rénaux. Les DL minimales sont plus importantes chez le chien que chez le chat :
  • chien : 4-5 mL/kg de produit pur (3-5 mg/kg)
  • chat : 1,5 mL/kg de produit pur (1,5 mg/kg)
C’est un produit moyennement toxique mais consommé en grande quantité du fait de son caractère appétent.
L’absorption est très rapide par voie orale uniquement. L’éthylène-glycol est métabolisé dans le foie par l’alcool-déshydrogénase. Les métabolites toxiques produits sont :
  • le glycoaldéhyde qui provoque une dépression du système nerveux central, dont une détresse respiratoire, et une inhibition des phosphorylations oxydatives
  • l’acide glycolique entraîne l’acidose métabolique
  • les oxalates qui précipitent sous forme d’oxalate de calcium dans les tubules rénaux et contribuent à l’acidose métabolique
  • L’élimination urinaire de la fraction non métabolisée se fait en 16 à 24 heures.
Symptomatologie
Les premiers signes apparaissent entre 30 minutes et 12 heures après l’ingestion :
Première phase (moins de 12 heures après ingestion) :
  • dépression du système nerveux central : symptômes d’un état ébrieux alcoolique
  • nausées, vomissements
  • prostration, ataxie, incoordination motrice, convulsions
  • tachycardie, tachypnée
  • polyuro-polydipsie dans l’heure suivant l’ingestion du fait de l’augmentation de la pression osmotique du sang
  • déshydratation modérée, acidose métabolique (pH sanguin < 7,3 et pH urinaire < 6,5)
  • hypothermie
  • parfois coma et mort
Deuxième phase (12-24 heures après l’ingestion) :
  • défaillance cardio-pulmonaire :
    • polypnée due à l’acidose, parfois œdème aigu du poumon
    • tachycardie du fait de la polypnée
    • coma, dépression sévère, congestion
  • mort possible si l’acidose est trop importante
Troisième phase (24-72 heures après ingestion chez le chien, 12-24 heures chez le chat) :
  • insuffisance rénale oligurique : elle est de mauvais pronostic et est due aux cristaux d’oxalates et d’hipurates :
    • anurie ou oligurie
    • cristallurie : cristaux parfois visibles au microscope (oxalates de calcium dans le culot urinaire)
    • augmentation de l’urémie et de la créatininémie d’où vomissements, anorexie et diarrhée
    • hématurie, protéinurie, glycosurie
    • acidose métabolique
  • dépression sévère puis mort par insuffisance rénale
La mort est possible à chaque stade. La récupération demande 3 à 4 semaines, les lésions rénales sont par contre souvent irréversibles.
Lésions
  • œdème et congestion de l’encéphale
  • congestion du tube digestif
  • néphrite aiguë avec cristaux d’oxalates dans le rein et les urines
Diagnostic
Le diagnostic est étiologique ou paraclinique essentiellement. Il faudra penser à une intoxication à l’éthylène-glycol lorsque l’animal présente une protéinurie, une glucosurie, une hématurie et une albuminurie, une acidose métabolique et une augmentation du trou anionique (> 25 mEq/L, normal : 10-15 mEq/L), une diminution de la densité urinaire. L’apparition des cristaux d’oxalate de calcium dans les urines* est tardive (5 heures post-ingestion). On pourra également rechercher une augmentation de l’urémie et de la créatininémie*.
* A ces stades, le traitement est illusoire.

Le diagnostic peut également se faire en laboratoire par recherche et dosage de l’éthylène-glycol ou de l’acide glycolique, son principal métabolite, dans l’urine ou le sérum (souvent post-mortem). Il faut donc penser à conserver un échantillon pendant la phase clinique.
Pronostic
Il est à réserver, et est même très mauvais chez les animaux âgés.
Plus le traitement est mis en place tardivement, plus le pronostic est sombre. Si on observe une amélioration après 10 à 15 heures de traitement, le pronostic est plus favorable.
Traitement
Traitement éliminatoire :
  • faire vomir si les symptômes ne sont pas encore déclarés
  • les adsorbants sont peu efficaces
Traitement symptomatique :
  • perfusion de bicarbonate pour corriger l’acidose et favoriser l’élimination de l’antigel. Si on ne connaît pas les paramètres biochimiques, on peut utiliser 0,5-1 mmol/kg en IV lente sur 30 minutes, sinon on corrige le déficit en bicarbonates en fonction des paramètres obtenus.
  • bien hydrater l’animal : la déshydratation favorise le dépôt de cristaux
Traitement spécifique :
Il a pour but d’empêcher la formation de métabolites toxiques en saturant l’alcool-déshydrogénase qui a une affinité plus forte pour l’éthanol que pour l’éthylène-glycol :
  • éthanol en solution à 20% (préparé par le pharmacien) :
    • 5,5 mL/kg de la solution à 20% diluée dans du NaCl en IV toutes les 4 heures, cinq fois, puis toutes les 6 heures, quatre fois
    • OU dose d’attaque de 1,4 mL/kg de la solution à 20% diluée dans du NaCl en IV sur 30 minutes puis perfusion lente à 0,62 mL/kg/h pendant 48-56 heures
    • ce traitement est à mettre en place le plus rapidement possible : dans les 6 heures post-ingestion. Le but est de provoquer un coma éthylique qui est obtenu avec une faible dose d’éthanol car le chien a peu d’alcool déshydrogénase, pour laquelle il n’y a pas d’induction enzymatique. Cependant, l’alccol provoque des désordres métaboliques (acidose et hypoglycémie), il faut donc alterner des perfusions d’éthanol, de glucose et de bicarbonates.
  • si le vétérinaire ne peut avoir de l’éthanol 20% et que l’intoxication est certaine, il est possible de faire boire de l’alccol au chien : 0,5-0,7 mL/kg/h d’un alcool titrant à 40% dilué
  • le 4-méthylpyrazole n’est pas disponible pour l’instant pour les vétérinaires
Analyses
L’éthylène-glycol peut être recherché et dosé dans le contenu gastrique ou le plasma.
Une concentration plasmatique en éthylène-glycol supérieure ou égale à 500 mg/mL est diagnostique d’une intoxication.
Dans l’urine, on peut également rechercher et doser l’éthylène-glycol mais aussi les cristaux d’oxalate qui peuvent être mis en évidence dans le rein à l’autopsie.
La recherche par chromatographie en phase gazeuse et spectrophotométrie de masse de l’acide glycolique est également réalisable sur un échantillon d’urine ou de sérum.
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