Toxicologie des animaux de compagnie
Les inhibiteurs de cholinestérase (IDC)
Présentation
Ce sont des produits insecticides, acaricides, molluscicides très nombreux. Ils regroupent la famille des organophosphorés (OP), dérivés de l’acide phosphorique, et la famille des carbamates, dérivés de l’acide carbamique. Leur mode d’action semblable les fait regrouper sous cette appellation commune.
Ils sont utilisés principalement comme insecticides agricoles ou de jardin, molluscicides (anti-limaces et escargots) et antiparasitaires externes (médicaments vétérinaires). Ils sont également utilisées comme insecticides domestiques (biocides), pour traiter l’environnement des animaux, éliminer les fourmis ou les blattes.
Espèces concernées
Toutes les espèces domestiques et sauvages sont susceptibles de s’intoxiquer avec des inhibiteurs de cholinestérases (IDC).
Circonstances de l'intoxication
Il s’agit la plupart du temps d’ingestion accidentelle suite à une mauvaise utilisation, comme un molluscicide disposé en tas, ou à un mauvais stockage, le produit étant entreposé dans un endroit accessible, ou le sac étant percé, par exemple.
Il peut également s’agir de malveillance bien que la destruction des nuisibles par les inhibiteurs de cholinestérases soit interdite, ou encore d’appâts malintentionnés.
Enfin on rencontre des cas de surdosage de médicaments antiparasitaires ou des erreurs d’utilisation : espèce non-cible, conditions physiologiques incompatibles avec l’utilisation du médicament, association médicamenteuse avec un neuroleptique, association de deux inhibiteurs de cholinestérases...
Toxicité
Elle est très variable du fait de la large gamme de molécules et de spécialités existantes.
Les produits les plus toxiques sont réservés à l’usage agricole.
Les produits les moins toxiques sont employés comme antiparasitaires externes, spécialités vétérinaires en diminution.
Les DL50 varient de 1mg/kg environ pour l’aldicarbe à plus de 1000 mg/kg pour le malathion par exemple chez le rat.
Mécanisme de toxicité
Il est commun à tous les IDC : après absorption intestinale ou pénétration cutanée pour les organophosphorés ou pulmonaire (surtout chez les oiseaux ou en cas de chaleur), les IDC inhibent l’action des cholinestérases plasmatiques et tissulaires.
L’acétylcholinestérase intervient dans la transmission de l’influx nerveux (synapses et jonctions neuromusculaires). Les effecteurs sont muscariniques ou nicotiniques. Les IDC provoquent un effet parasympathomimétique avec augmentation des sécrétions, contractions des fibres musculaires lisses et contraction des fibres musculaires striées plus tardives.
Ces actions peuvent provoquer la mort par asphyxie due à un bronchospasme ou par œdème aigu du poumon.
Symptomatologie
Les premiers signes apparaissent en quelques minutes, en cas d’ingestion ou d’inhalation, à quelques heures lors de contamination par voie cutanée.
Les symptômes des différentes phases peuvent apparaître simultanément et correspondre à des phases différentes à des phases différentes en fonction des organes. Tous les symptômes ne sont pas forcément présents.
Première phase : phase muscarinique avec augmentation de toutes les sécrétions :
  • hypersalivation
  • myosis très intense
  • hypersécrétion bronchique et bronchospasme avec cyanose, dyspnée, œdème aigu du poumon
  • vomissements, diarrhée souvent muqueuse, coliques
  • bradycardie (blocs auriculo-ventriculaires)
  • ataxie
  • hypotension par action directe sur l’intima des vaisseaux
  • mort brutale possible par asphyxie
Deuxième phase : phase nicotinique :
  • mydriase
  • diminution des sécrétions donc disparition de la salivation et des râles bronchiques
  • tachycardie
  • dépression respiratoire d’origine centrale
  • hypotension par action directe sur l’intima des vaisseaux
  • tremblements et fasciculations musculaires, convulsions
  • mort par tétanie des muscles respiratoires et asphyxie
Troisième phase :
  • atteinte du système nerveux central avec convulsions sévères chez les carnivores, tétanie respiratoire
  • dépression, prostration ou coma
Lésions
Elles sont non spécifiques :
  • congestion généralisée, cyanose
  • salivation, diarrhée souvent muqueuse
  • hypersécrétion bronchique, œdème pulmonaire, parfois lors de mort brutale le poumon a un aspect normal avec des placards hémorragiques
  • coloration du contenu digestif, des selles et des vomissures
    Diagnostic
    Il est étiologique et renforcé par l’odeur marquée, souvent caractéristique des vomissures et des selles.
    On peut également rechercher les IDC sur le contenu gastrique, les vomissures, les appâts et le sang.
    L’évaluation de l’activité cholinestérasique par le dosage de la pseudocholinestérase peut orienter le diagnostic : on estime qu’une diminution de 50% de l’activité de pseudocholinestérase doit orienter vers un diagnostic d’intoxication aux IDC ; cependant, cette hypothèse doit être étayée par la clinique.
    Pronostic
    Le traitement est à administrer sur 24 à 48 heures.
    Malgré le traitement de la phase muscarinique, la phase nicotinique peut survenir. La guérison survient en 2 à 4 jours, voire une semaine.
    Traitement
    Traitement éliminatoire :
    • faire vomir si l’ingestion est récente et si l’animal peut le supporter
    • charbon activé lorsque l’état de l’animal le permet
    • décontamination cutanée par lavage avec du savon de Marseille ou du liquide vaisselle
    Traitement symptomatique :
    • diazépam (Valium®), barbituriques si nécessaire, mais attention ils sont dépresseurs cardio-respiratoires et l’animal est fragilisé par ses convulsions avec des IDC qui ont déjà des effets sur la respiration (œdème aigu du poumon, bronchospasme, difficultés respiratoires)
    • fluidothérapie (NaCl, Ringer Lactate contre l’acidose) lors d’hypotension
    • analeptiques cardio-respiratoires : doxapram (Dopram®)
    • diurétiques
    Traitement spécifique :
    • traitement spécifique de la phase muscarinique :
      • atropine : 0,2-1 mg/kg : 1⁄4 IV, 3⁄4 SC. Cette dose est élevée par rapport aux doses pré-anesthésiques. Elle dépend de la réponse et est à renouveler au besoin, la durée d’action étant de 2 heures environ. Il faut aller jusqu’à l’atropinisation : myosis, bouche sèche, tout en surveillant les effets secondaires sur le système nerveux central.
      • glycopyrolate (Robinul V®) : 0,1 mg/kg. C’est une dose 10 fois supérieure à celle utilisée en pré-anesthésie. La durée d’action de 5 à 6 heures et les effets secondaires sont moins importants que ceux de l’atropine (pas de convulsions, peu d’arythmies).
    • traitement antidotique pour certains organophosphorés seulement :
      • diazinon, dichlorvos, diméthoate, méthylparathion, mévinphos, parathion, moins efficace sur le parathion
      • pralidoxime (Contrathion®) : 20 mg/kg IM ou IV à réadministrer dans les 24 heures. C’est un inhibiteur compétitif de l’organophosphoré.
      • ce traitement n’est à utiliser que si l’on est certain que c’est bien un organophosphoré qui est responsable du tableau clinique : c’est un traitement cher, peu efficace et difficile à trouver.
      • ce traitement n’est pas indiqué avec les carbamates.

    Complications :
    • rechute après amélioration avec prostration intense, décubitus. L’animal ne peut boire et manger seul. Il s’agit d’une myopathie secondaire « par stimulation excessive des muscles ». Repos complet pendant 10 à 15 jours et guérison progressive et spontanée.
    • paralysies secondaires, chez les oiseaux et les grands félidés, qui apparaissent 3 jours à un mois post-intoxication. Toxicité retardée avec les organophosphorés (trichlorfon, malathion, ...). Elle se traduit par une parésie du train postérieur d’évolution lente et irréversible donnant une paralysie due à une dégénérescence des axones et une démyélinisation.
    Analyses
    En laboratoire, on peut rechercher les IDC sur le contenu gastrique, les vomissures, les appâts et le sang.
    L’activité cholinestérasique est réalisable par spectrophotométrie sur des échantillons de sérum.
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