Toxicologie des animaux de compagnie
Les vipères
Présentation
Les vipères rencontrées en France sont la vipère aspic (Vipera aspis) au sud d’une ligne Nantes-Metz, une variante de la vipère zinnikeri, la vipère péliade (Vipera berus) dans le Nord, le Doubs, le Jura et le Massif Central, et la vipère d’Orsini (Vipera Ursinii) sur le mont Ventoux, dans le Lubéron et les Alpes Maritimes. Cette dernière est en voie d’extinction.
Face à l’inquiétude des propriétaires d’animaux, il faut savoir faire la différence entre une vipère et une couleuvre :

Tableau 4 : Différences morphologiques entre la vipère et la couleuvre
Vipère Couleuvre
Petites plaques céphaliques
Tête plutôt triangulaire Tête plutôt arrondie
Pupille verticale Pupille ronde
Taille de l’adulte : 80 cm Taille de l’adulte : 150 cm
Queue se rétrécissant brutalement Queue se rétrécissement progressivement
Deux longs crochets donnant une morsure à deux trous Plusieurs dents de petite taille, morsure rare
Espèces concernées
Chiens, bovins, équidés et ovins sont les plus exposés aux envenimations par les vipères.
Circonstances de l'intoxication
L’envenimation se fait par morsure au pré, pour les bovins, les chevaux et les petits ruminants, ou lors de promenade ou à la chasse pour les chiens.
Cette envenimation a un caractère saisonnier, de mars à octobre, car les vipères sont poïkilothermes ; mais selon le climat, on peut tout de même rencontrer des vipères l’hiver.
La localisation des morsures dépend de l’animal : à l’abdomen ou aux mamelles chez les bovins couchés, alors que chez le chien elles ont lieu à la truffe, à la face, ou aux babines du fait du comportement exploratoire de l’animal ou encore aux membres, le plus souvent les antérieurs.
Toxicité
Il y a de nombreux composés actifs dans le venin dont
  • des toxines (neurotoxine, cardiotoxine, hémotoxine, cytotoxine),
  • des enzymes comme la hyaluronidase qui facilite la diffusion du venin, la phospholipase A2 qui détruit les membranes nerveuses et érythrocytaires, et des nucléases, entre autres,
  • des minéraux activateurs des enzymes (calcium, zinc).
  • La toxicité dépend de la saison et de l’âge de la vipère.
    La gravité de l’envenimation dépend de la taille de l’animal mordu, de son âge, de la quantité de venin reçue, et de la localisation de la morsure.
    Notons que la morsure n’est pas toujours venimeuse (un cas sur deux chez l’homme) car les glandes à venin peuvent être vides.
Symptomatologie
Le premier signe est la fuite de l’animal accompagnée de cris de douleur. Les premiers signes locaux apparaissent en 20 à 30 minutes. Les symptômes sont plus ou moins marqués en fonction du poids de l’animal et de la quantité de venin reçue :
Signes locaux :
  • douleur importante au site de morsure. Si on tond, on peut observer ce site sous la forme de deux points rouges distants d’environ 1 cm.
  • œdème rapide (20 minutes), très douloureux, qui s’étend rapidement. Dans le cas d’envenimation, l’œdème est froid, dur, sans signe du godet ; lors de surinfections, la zone peut être chaude.
  • nécrose localisée au départ au site de morsure, s’étendant par la suite
Signes généraux précoces :
Ils précèdent les signes locaux lors de morsure à proximité de la veine jugulaire :
  • signes cardio-vasculaires :
    • bradycardie ou tachycardie
    • arythmie
    • hypotension
    • état de choc avec hypothermie, extrémités froides, coma
  • signes respiratoires :
    • détresse respiratoire
    • polypnée
    • cyanose
  • signes digestifs non spécifiques :
    • coliques
    • vomissements
    • diarrhée
  • signes neuro-musculaires :
    • agitation, prostration
    • contractures musculaires
    • convulsions
    • ataxie, paralysie
Complications :
Elles peuvent apparaître jusqu’à 8 jours après l’envenimation :
  • signes rénaux :
    • insuffisance rénale aiguë (fonctionnelle ou lésionnelle) avec oligo-anurie, déshydratation, augmentation de l’urémie et de la créatininémie
  • signes sanguins :
    • hémolyse très rapide si la morsure est proche d’un gros tronc veineux, hémoglobinurie
    • coagulation intra-vasculaire disséminée (CIVD) : augmentation des temps de coagulation, des PDF, thrombopénie
    • syndrome hémorragique
    • ictère
  • défaillance multi-viscérale plus rare (foie, rein)
Lésions
Elles dépendent de la sévérité de l’envenimation :
  • grade 0 : marque des crochets, pas d’œdème ni de réaction locale
  • grade 1 : œdème local, pas de signes généraux
  • grade 2 : œdème régional et/ou signes généraux modérés avec vomissements diarrhée, hypotension passagère
  • grade 3 : œdème étendu et/ou signes généraux sévères avec hypotension prolongée, choc, hémorragies
Diagnostic
Il est basé sur l’observation des lésions locales et du tableau clinique, associé à l’anamnèse (promenade, saison...)
Pronostic
Il est réservé.
Traitement
Il convient d’éviter tout effort physique et de porter l’animal pour éviter la diffusion du venin. Maintenir l’animal au calme.
Traitement local :
  • désinfection locale à l’eau oxygénée, au permanganate de potassium ou à l’eau de Javel
  • refroidir la plaie à l’eau froide ou avec de la glace
  • proscrire : les incisions locales, la succion, la mise en place d’un garrot, l’utilisation d’un Aspivenin®
Traitement général :
  • corticoïdes à action rapide à doses fortes, à faire de façon systématique même si le chien va bien. Méthylprednisolone (Solumedrol®) 20-30 mg/kg (onéreux) ou dexaméthasone 4 mg/kg.
  • antibiothérapie de couverture : pénicilline principalement pour éviter la nécrose et la gangrène
  • vaccination antitétanique chez le cheval
Traitement spécifique :
  • héparinothérapie : héparinate de calcium (Calciparine® ou Héparine calcique®) 100-250 UI/kg SC toutes les 6 à 8 heures pendant 24 à 36 heures sans risque de coagulopathie. Ce traitement peut être utilisé pour prévenir la CIVD qui n’est pas systématique ou pour lutter contre la CIVD, dans ce cas on peut augmenter les doses. A l’arrêt de ce traitement, la CIVD peut survenir.
  • sérum anti-venimeux :
    • très efficace contre les troubles généraux et pour réduire l’œdème si celui-ci est mal situé. A utiliser en cas d’envenimation systémique (grade 2 et 3).
    • administrer dans les 6 à 8 heures après la morsure, et jusqu’à 24 heures après*. L’injection doit se faire en perfusion intraveineuse lente, après dilution dans un soluté isotonique. Ne pas injecter en SC ou IM, malgré la notice d’utilisation.
    • coût élevé : une ampoule de sérum antivenimeux Mérial coûte environ 60€. On peut également utiliser le sérum destiné à l’homme mais il est extrêmement cher : Viperfav®, environ 1000€.
    • risque de choc anaphylactique (sérum de cheval)
    • risque de maladie sérique : troubles rénaux, arthropathies par dépôts d’immuns-complexes
  • fluidothérapie (macromolécules ou NaCl isotonique) en surveillant la taille de l’œdème
Prophylaxie :
Pour éviter les morsures, il convient de débroussailler les abords des habitations, et de frapper le sol, les ondes étant perçues par les serpents qui fuient alors. Les poules, dindons et paons sont des prédateurs de serpent. Les répulsifs ne sont pas efficaces. L’utilisation de pétrole (pour lampe-tempête) sur les murets éloignerait les serpents.
Bibliographie
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