Toxicologie des animaux de compagnie
Le scilliroside
Présentation
Le scilliroside est un hétéroside d’origine végétale obtenu par extraction de la Scille maritime, variété rouge (Urginea = Drimia maritima L.), plante de la famille des Liliacées. C’est le bulbe qui est riche en hétérosides.
Le scilliroside est une molécule ancienne réutilisée actuellement comme rodonticide, contre les souris, rats, surmulots, ragondins et rats musqués : Sil’operats®, Sil’souryl®, Silmine®, Silmurin®, avec des concentrations de 0,02% à 0,03%. Son utilisation sera interdite après 2011.
La mort du rongeur intervient 6 à 12 heures après l’ingestion, par bradycardie puis arrêt cardiaque.
Espèces concernées
Le chien, le chat et les animaux sauvages sont susceptibles de s’intoxiquer au scilliroside.
L’intoxication est rare chez les grands animaux du fait de la grande quantité que l’animal devrait ingérer.
Circonstances de l'intoxication
Il s’agit la plupart du temps de l’ingestion accidentelle d’appâts pour rongeurs.
L’utilisation du scilliroside dans des appâts malveillants est rare.
Toxicité
Les DL50 suivantes sont données pour une administration per os :
  • chez le rat : 0,4-2 mg/kg
  • chez la souris : 0,17 mg/kg
  • chez le poulet : 400 mg/kg
On peut également donner les DL, toujours pour une administration per os :
  • chez les ruminants : 100-400 mg/kg
  • chez le mouton : 250 mg/kg
  • chez la chèvre : 500 mg/kg
  • chez le chien : 145 mg/kg
  • chez le chat : 100 mg/kg
Notons que la scillirosidine, métabolite, est plus toxique que l’hétéroside.
Le scilliroside a un fort pouvoir émétisant, mais les rongeurs ne peuvent pas vomir. C’est également un produit irritant et amer qui entraîne une aversion, la ré-ingestion est donc peu probable.
Son action est analogue à celle des digitaliques : de façon générale, il y a perturbation de l’excitation et de la conduction cardiaque, stimulation des centres bulbaires du vomissement et stimulation des fibres musculaires lisses intestinales.
Symptomatologie
Les premiers signes apparaissent 1 à 2 heures après ingestion :
Signes digestifs :
  • ils sont précoces, concomitants ou précurseurs des signes cardiaques
  • vomissements importants, difficiles à juguler du fait de leur origine centrale. Ils apparaissent quand le toxique est déjà absorbé et peuvent durer pendant 12 heures. Du fait de leur importance, ils provoquent des désordres hydro-électrolytiques (déshydratation, hypokaliémie)
  • diarrhée due à la stimulation des fibres musculaires lisses
Signes cardiaques tardifs :
  • troubles de l’excitation :
    • bradycardie sinusale marquée (< 60-70 battements par minute), à l’origine d’une hypotension dans 90% des cas
    • extrasystoles ventriculaires
    • parfois tachycardie sinusale ou ventriculaire (> 160 battements par minute)
    • fibrillation auriculaire
  • troubles de la conduction :
    • blocs atrio-ventriculaires (BAV1, BAV2)
    • blocs sino-auriculaires (augmentation du tonus vagal)
Signes neurologiques :
  • ils sont généralement « en hypo » (prostration, ataxie, parésie, parfois coma). Les trémulations musculaires et les convulsions peuvent apparaître quand les troubles électrolytiques sont présents et le pronostic est assombri dans ce cas.
L’évolution est lente ; il y a persistance des troubles cardiaques pendant 3 à 8 jours du fait d’un cycle entéro-hépatique.
Lésions
Elles sont non spécifiques. On retrouve des lésions de gastro-entérite et une congestion généralisée.
Diagnostic
Il est étiologique, ou peut se baser sur les altérations cardiaques et la lecture de l’électrocardiogramme.
Le dosage du scilliroside peut se faire sur un échantillon de contenu gastrique.
Pronostic
Il est réservé pendant 4 à 6 jours bien que généralement favorable.
Le pronostic est plus sombre si l’animal est âgé, s’il a des antécédents cardiaques ou une insuffisance rénale et/ou hépatique car le toxique sera moins bien éliminé et/ou métabolisé.
La récupération est généralement sans séquelle, sauf parfois au niveau cardiaque.
Traitement
Traitement éliminatoire :
  • vomitifs, surtout si l’ingestion est récente. Ne pas attendre l’effet émétique du scilliroside qui ne se produit que lorsque le toxique est absorbé.
  • charbon végétal activé : 1-2 g/kg ; puis 15 minutes plus tard, huile de paraffine pour éviter la constipation secondaire à l’administration du charbon. Pas de paraffine en cas de diarrhée. Ce traitement (charbon + paraffine) est à administrer 3 fois par jour pendant 3 jours du fait du cycle entéro-hépatique.
  • diurétiques : ils ont un effet limité car l’élimination du scilliroside est biliaire. Le furosémide doit être utilisé avec précaution car c’est un diurétique hypokaliémiant pouvant aggraver les troubles cardiaques et l’hypokaliémie due aux vomissements. Il est cependant généralement bien toléré sur 24 heures.
Traitement symptomatique :
  • antiémétiques centraux pas toujours efficaces, à essayer néanmoins après les vomissements initiaux
  • correction des désordres hydro-électrolytiques dus aux vomissements : fluidothérapie, suivi de l’ionogramme
  • correction des troubles cardiaques : ne pas administrer de bêta-bloquants :
    • bradycardie et blocs auriculoventraiculaires (BAV) :
      • glycopyrrolate (Robinul V®) 0,01 mg/kg toutes les 6 heures chez le chat et le chien. Moins d’effets secondaires que l’atropine et durée d’action supérieure.
      • atropine IV : 0,05-0,1 mg/kg chez le chien ; 0,02-0,04 mg/kg chez le chat. A renouveler au besoin.
    • tachycardie :
      • lidocaïne (Xylocard®) IV lente : 2-4 mg/kg chez le chien ; 0,5 mg/kg chez le chat. Contre-indiquée en cas de blocs. A renouveler toutes les 20 à 60 minutes.
    • arythmie cardiaque :
      • mexilétine (Mexitil®) 3 mg/kg/j PO en 2 prises, indiquée pour les troubles du rythme ventriculaire
      • aprindine (Fiboran®) 3-5 mg/kg/j PO en 2 prises, indiquée pour les troubles du rythme ventriculaire. La cholestryamine (Questran®) utilisée en médecine humaine lors d’intoxication aux digitaliques est un produit cher et sans effet intéressant ici.
  • calmer les convulsions avec du diazépam (Valium®) 0,5-2 mg/kg IV ou IR
Analyses
La recherche de scilliroside se fait sur le contenu digestif au cours des 24 premières heures, dans le foie au-delà.
Bibliographie
Fitzpatrick, RJ. 1952. The toxicity of red squill raticide to domesticated animals. J Comp Path. 1952, Vol. 62, 1, pp. 23-40.